Se conformer à la fois aux règles relatives aux bien agricoles admissibles et aux règles de transfert intergénérationnel d’entreprises s’avère assez ardu. Cependant, avec une bonne planification, les agriculteurs peuvent demeurer conformes tout en optimisant leur recours à l’exonération cumulative des gains en capital (« ECGC ») lors du transfert de propriété.
Le secteur agricole canadien, qui compte plus de 60 % d’agriculteurs âgés de 55 ans et plus, selon le Recensement de l’agriculture de 20211, traverse une période de transition. De nombreux agriculteurs sont confrontés à d’importantes décisions concernant leur retraite, l’avenir de leur exploitation et leurs activités agricoles. Malheureusement, seulement 13 % d’entre eux ont rédigé un plan de relève.
En ne planifiant pas votre avenir, vous risquez de perdre des occasions de bénéficier d’exonérations fiscales et de reports d’imposition propres au secteur agricole et vous risquez de laisser votre famille se démener et se quereller en cas de décès.
ECGC
L’ECGC s’élève actuellement à un million de dollars en ce qui a trait à la disposition de bien agricoles. Le premier million de dollars de gain en capital (soit l’augmentation de la valeur du bien depuis son achat) obtenu à la vente d’un bien agricole admissible pourrait être libre d’impôt. Des renseignements supplémentaires sur les critères d’admissibilité sont présentés ci-dessous.
En général, l’ECGC sur un bien agricole admissible peut être demandée par un particulier pour un bien qui lui appartient ou qui appartient à son époux ou à son conjoint ou à une société de personnes agricole familiales. Sont considérés comme des biens les terrains, les bâtiments, les actions d’une société agricole familiale, les participations dans une société de personnes agricole familiale ou les autres biens comme les quotas de production de lait ou de volailles. Ceux-ci doivent également avoir été utilisés dans le cadre de le fonctionnement d’une entreprise agricole au Canada.
Au cours des 24 mois précédant sa disposition, le bien doit avoir été détenu par un particulier, son époux, son enfant, son parent ou une société de personnes agricole familiale. Selon l’année où le bien a été acheté, les conditions sont les suivantes :
Achats avant le 18 juin 1987
Le bien doit avoir été utilisé principalement (plus de 50 % du temps) dans une entreprise agricole par une personne admissible au cours de l’année où il a été vendu. Sinon, pendant au moins cinq ans au cours desquels il appartenait à une personne admissible, le bien doit avoir été utilisé plus de 50 % du temps dans une entreprise agricole par l’une des personnes admissibles. Si le bien a souvent été loué, il pourrait ne pas être admissible.
Achats après le 17 juin 1987
Il pourrait s’avérer plus difficile de remplir les conditions requises. Pendant au moins deux ans au cours desquels le bien appartenait à des personnes admissibles, le revenu brut que ces personnes ont tiré de l’entreprise doit dépasser leur revenu tiré de toute autre source. De plus, le bien doit avoir été utilisé plus de 50 % du temps par une entreprise agricole dans laquelle les personnes admissibles était engagée de façon régulière et continue. Le bien pourrait également être admissible si, pendant une période de deux ans, il a été utilisé par une société ou une société de personnes qui répond à cette définition en vertu des règles relatives aux bien agricoles admissibles et si la personne mentionnée dans la définition participe activement, de façon régulière et continue, à l’activité agricole.
Bien acheté avant le 18 juin 1987 pour lequel vous avez produit le formulaire T664, Choix de déclarer un gain en capital sur un bien possédé en fin de journée le 22 février 1994.
Dans un tel cas, vous êtes réputé avoir vendu le bien ; vous êtes donc assujetti aux critères des biens achetés après le 17 juin 1987. En outre, le montant tiré de la vente sera déduit du montant de l’ECGC auquel vous pourriez avoir droit.
Veuillez noter que l’agriculture active exclut les accords de métayage standard, selon l’Agence du revenu du Canada.
Les règles en matière de sociétés agricoles familiales et de sociétés de personnes agricoles familiales sont assez semblables. Pour que celles-ci soient admissibles à l’ECGC, il faut que, pendant une période continue de 24 mois précédant la vente d’un bien, plus de 50 % de la juste valeur marchande (« JVM ») de leurs actifs soit imputable à des biens utilisés principalement (au moins la moitié du temps où ils ont été possédés) dans le fonctionnement actif d’une entreprise agricole par des utilisateurs admissibles, une société ou une société de personnes. Il faut également qu’au moins un des utilisateurs admissibles participe activement à l’opération de l’entreprise agricole de façon régulière et continue.
De plus, au moins 90 % de la JVM des actifs possédés au moment de la vente ou du transfert doit être imputable à des biens utilisés principalement (au moins la moitié du temps où ils ont été possédés) dans le fonctionnement actif d’une entreprise agricole par des utilisateurs admissibles, une société ou une société de personnes. La règle du « principalement » s’applique à l’utilisation du bien durant toute la période où il a été possédé. Le bien n’a donc pas à être utilisé dans l’opération agricole au moment de la vente ou du transfert.
D’autres conditions spécifiques doivent être remplies pour qu’une société ou une société de personnes soit définie comme une société agricole familiale ou une société de personnes agricole familiale. La propriété indirecte pourrait aussi être admissible à l’ECGC. Par exemple, si l’unique actif d’une société consiste dans créance ou des actions d’une société agricole familiale, elle sera généralement aussi considérée comme une société agricole familiale.
Aux fins des règles liées aux bien agricoles admissibles, le terme « enfant » comprend les petits-enfants ou les arrière-petits-enfants et le terme « parent » comprend les grands-parents et les arrière-grands-parents.
Vendre ou céder une terre à une personne autre qu’un descendant direct (ex. le parent, le grand-parent, ou l’arrière-grand-parent) pourrait la rendre non admissible à l’ECGC. Par exemple, si une terre est transférée d’un frère à un autre, puis à l’enfant du premier frère mentionné, cette terre ne sera pas admissible si l’enfant ne la cultive pas, même si son parent l’a fait.
Vu l’augmentation de la valeur des terres agricoles, si le bien est possédé par une seule personne, l’ECGC d’un million de dollars, bien qu’importante, pourrait ne pas être suffisante pour limiter l’imposition des gains en capital. Grâce à une planification, vous pouvez optimiser le recours à l’exonération des gains en capital d’autres personnes admissibles, telles que les époux et les enfants.
Transferts intergénérationnels
Si vous souhaitez transférer votre entreprise agricole à la prochaine génération plutôt que la vendre à un tiers, voici quelques points à prendre en considération
Transférer un actif à un enfant (qui souhaite poursuivre l'opération de l'entreprise) constitue une opération aussi simple que d'offrir un cadeau à un certain coût et n'entraîne pas de répercussions considérables en ce qui concerne l'impôt sur le revenu. La plus-value de l'actif et l'incidence fiscale qui en découle seront transférées à l'enfant. Cette opération pourrait être effectuée à maintes reprises, génération après génération, à supposer qu'il y ait toujours un successeur admissible dans la famille.
En revanche, cette opération ne permet pas de recourir à l'ECGC pour compenser les gains en capital non couverts par le montant de l'ECGC de chaque successeur.
Plutôt que de transférer un bien agricole à un certain coût, un agriculteur pourrait vouloir vendre une terre à un enfant à un prix situé entre son coût et sa JVM. Prenons l'exemple d'un agriculteur qui a accès au montant total d'ECGC de 1M $ et qui possède une terre dont la valeur est de 1,6M $ et le coût de 100 000 $. En vertu des règles applicables, il pourrait vendre sa terre à son enfant au coût de 1,1M $, et le gain de 1M $ serait entièrement couvert par l'ECGC. Le gain en capital de 500 000 $ restant ferait l'objet d'un report et l'impôt serait appliqué sur les revenus de l'enfant au moment de la vente du bien. Ce type de vente peut être effectué entre vifs ou, si le bien est légué dans le testament, en optant pour ce choix dans la dernière déclaration de l'agriculteur.
Si le transfert a lieu au cours de la vie de l'agriculteur, il faut tenir compte de l'incidence d'un gain en capital sur certains éléments, notamment sur la récupération des prestations de la Sécurité de la vieillesse et sur l'impôt minimum de remplacement. Certaines prestations fondées sur le revenu seront touchées, par exemple le crédit d'impôt fédéral en raison de l'âge, le crédit pour la taxe sur vente harmonisée, les crédits provinciaux pour les sommes versées à titre de loyer ou d'impôt foncier ainsi que les franchises provinciales pour contribution au paiement des médicaments. Ces montants peuvent s'avérer importants ; recourir à son ECGC n'est pas une décision facile à prendre.
Certains agriculteurs pourraient ne pas souhaiter recevoir d'argent de la part de leur enfant lorsque le bien est transféré, mais tout de même souhaiter recourir à leur ECGC pour augmenter le prix de base rajusté du bien. Dans un tel cas, les impôts et les coûts engagés devront être payés et devraient être pris en compte dans l'organisation du transfert de l'exploitation agricole. Par ailleurs, les parents ne doivent pas renoncer à tout montant impayé avant leur décès pour éviter l'érosion du coût de base en vertu des règles relatives à la remise de dette. Cette remise de dette ne devrait se faire que par le biais des clauses du testament du parent.
Jusqu'à récemment, si un agriculteur souhaitait vendre ses actions dans la société agricole à une société détenue par son enfant, il n'aurait pas été en mesure de demander l'ECGC et aurait eu à payer des impôts aux taux applicables aux dividendes plutôt qu'aux taux applicables aux gains en capital. En effet, on ne pouvait recourir à l'ECGC pour les ventes à une société ayant un lien de dépendance. Pour s'en prévaloir, l'agriculteur devait vendre ses actions directement à son enfant ou, si l'acheteur était une société, celle-ci devait être détenue par une partie sans lien de dépendance.
Le 29 juin 2021, le projet de loi d'initiative parlementaire C-208 a reçu la sanction royale. Grâce à deux changements principaux apportés à la Loi de l'impôt sur le revenu, les détails sont fournis ci-dessous, ce projet de loi offre un allégement fiscal aux familles qui souhaitent transférer des actions d'une société agricole familiale à une société appartenant à leurs enfants, ou lorsque des sociétés agricoles familiales avec les frères et sœurs comme actionnaires souhaitent séparer la société.
- L'article 84.1 a été modifié pour permettre la vente d'actions à des sociétés avec lesquelles les propriétaires ont un lien de dépendance. Ceci entraîne un gain en capital et permet l'utilisation de l'exonération cumulative des gains en capital pour réduire l'impôt sur le revenu. La société acheteuse doit être contrôlée par un ou plusieurs enfants ou petits-enfants âgés de 18 ans et plus et détenir les actions pour une période minimale de 60 mois. Il existe un certain nombre d'autres exigences.
- L'article 55 a été modifié pour permettre aux membres de la famille d'effectuer une certaine réorganisation d'entreprise. Avant ce changement, les frères et sœurs n'étaient pas réputés être liés dans le cadre de la division d'une société agricole familiale entre ses actionnaires, ce qui rendait nécessaire un processus compliqué et coûteux. Grâce à cet allègement, ils sont réputés être liés aux fins de ces règles et peuvent recourir à un processus beaucoup plus simple pour scinder une société agricole familiale entre actionnaires frères et sœurs.
Vous trouverez plus d'informations sur le projet de loi C-208 sont fournis dans notre article sur le leadership éclairé.
La société doit satisfaire à tous les critères présentés ci-dessus pour être considérée comme un bien agricole admissible au titre de l’ECGC.
Le ministère des Finances prévoit procéder à d’autres modifications législatives pour veiller à ce que ces changements soient utilisés dans le cadre de véritables transferts intergénérationnels et non à des fins de planification fiscale artificielle. Ces modifications pourraient être publiées à tout moment.
Autres éléments à prendre en compte
La planification de la relève et les opérations qui en découlent comptent plusieurs facteurs à prendre en compte, parmi lesquels d’autres formes d’imposition, comme les droits de cession immobilière et la taxe de vente (le cas échéant), ainsi que les enjeux transfrontaliers si la vente a lieu à l’extérieur du pays. Cet article tient uniquement lieu d’introduction à ces sujets. Si vous avez des questions ou si vous souhaitez obtenir des renseignements précis à propos de votre situation, communiquez avec votre bureau local de BDO.
Toutes les références législatives contenues de ce texte se rapportent à la Loi de l’impôt sur le revenu, sauf indication contraire. Bien que cette loi concerne généralement l’agriculture et la pêche, cet article traite uniquement de l’aspect agricole.
Pour en savoir plus, lisez cet article de notre Bulletin fiscal : « Planification fiscale pour les agriculteurs canadiens »