Le 4 février 2022, le ministère des Finances a annoncé les règles tant attendues du régime de restriction des dépenses excessives d'intérêts et de financement (« RDEIF »), qui auront une incidence sur les sociétés multinationales, les investissements transfrontaliers et les entreprises canadiennes ouvertes et privées. Ces règles mettent en œuvre les recommandations de l'action 4 du projet d'érosion de la base d'imposition et du transfert de bénéfices (« BEPS ») de l'Organisation de coopération et de développement économiques (« OCDE »).
Quand les nouvelles règles s'appliqueront-elles?
De façon générale, ces règles s'appliqueront aux années d'imposition d'un contribuable donné commençant le 1er janvier 2023 ou après cette date. Il est possible d'envoyer des commentaires et observations sur les règles proposées jusqu'au 5 mai 2022, le texte de loi final devant être présenté plus tard au courant de l'année. Les règles du régime de RDEIF sont complexes, puisqu'elles sont destinées à être appliquées parallèlement avec d'autres règles de restriction des intérêts au Canada. Bien que l'OCDE n'ait pas recommandé de restrictions supplémentaires concernant la déductibilité des intérêts, le gouvernement canadien propose de maintenir ses restrictions à ce chapitre, soit les règles canadiennes de capitalisation restreinte ainsi que les règles canadiennes sur les prix de transfert.
Nous avons résumé l'essentiel des règles actuelles ci-dessous. Toutefois, nous nous attendons à ce que des révisions supplémentaires soient apportées une fois que les observations du public auront été soumises au ministère des Finances.
Règle opérationnelle
La règle opérationnelle du RDEIF vise à limiter les dépenses nettes d'intérêts à un ratio fixe de revenu imposable provenant du bénéfice avant intérêts, impôts et dotations aux amortissements (« BAIIDA »).
Le ratio fixe comprend deux dispositions couvrant deux périodes :
- 40 % du BAIIDA rajusté pour les années d'imposition commençant en janvier 2023 ou après cette date, mais avant 2024, de façon à offrir un allègement transitoire par rapport à ces règles;
- 30 % pour les années d'imposition commençant le 1er janvier 2024 ou après cette date.
Le terme « revenu d'intérêts et de financement » (« RIF ») est défini sommairement de façon à inclure d'autres formes de revenu que celles provenant des intérêts traditionnels. Les éléments à prendre en compte sont, notamment, les suivants :
- Intérêts capitalisés et dépenses de financement capitalisées et déduites en vertu des règles de déduction pour amortissement (« DPA »);
- Montants de comptes de dépenses relatives à des ressources et montants payables en vertu de certaines conventions ou de certains arrangements qui peuvent raisonnablement être considérés comme faisant partie du coût de financement du contribuable (notamment les montants payables en vertu de certains dérivés de couverture);
- Intérêts théoriques relativement à certains baux.
Ces règles s'appliquent au RIF net. En conséquence, les dépenses d'intérêts peuvent être réduites si le contribuable reçoit des revenus d'intérêts d'un financement qu'il offre relativement à des baux conclus ou des montants semblables sur le plan économique, comme des frais de garantie ou des montants de crédit-bail. Toutefois, ce revenu ne semble pas inclure les intérêts dérivés de prêts accordés à des sociétés étrangères affiliées et pourrait donc avoir d'importantes répercussions sur les contribuables qui recourent à des facilités de crédit au Canada pour contracter des prêts en aval au nom de sociétés étrangères affiliées.
De plus, divers rajustements à la hausse et à la baisse sont requis selon la définition proposée du « revenu imposable rajusté ». Le point de départ pour calculer ce revenu est le revenu imposable auquel sont appliqués des rajustements. À titre d'exemple, les RIF et la récupération de la DPA sont des éléments qui permettent de rajuster à la hausse le revenu imposable. Il convient de noter que les dividendes intersociétés ou certains dividendes reçus de sociétés étrangères affiliées ainsi que les pertes en capital nettes et les pertes autres qu'en capital doivent être exclus de ce calcul.
Allègement par ratio de groupe
Les règles du ratio de groupe permettent au contribuable canadien de déduire des intérêts en sus du ratio fixe de 30 % (40 % dans le cas d'une année où s'appliquent des règles transitoires), pourvu qu'il soit membre d'un groupe consolidé aux fins comptables dont le ratio des dépenses nettes d'intérêts payés à des tiers par rapport au BAIIDA comptable dépasse le ratio fixe et qu'il soit en mesure de le démontrer à l'aide de ses états financiers consolidés audités.
Le terme « groupe consolidé » renvoie à une société mère et à toutes ses filiales qui sont entièrement regroupées dans les états financiers consolidés de cette société mère, et le calcul du BAIIDA est fondé sur des états financiers consolidés audités conformément aux normes comptables acceptables. S'il existe des écarts importants entre le calcul du revenu aux fins comptables et aux fins de l'impôt qui ont pour effet de réduire le revenu comptable, le recours au ratio de groupe peut s'avérer avantageux. L'application de cette règle des états financiers consolidés fait l'objet de plusieurs questions en matière d'interprétation. Nous nous attendons à obtenir de plus amples renseignements à ce sujet.
En vertu de la règle du ratio de groupe, les montants maximaux de RIF que les membres du groupe consolidé sont autorisés à déduire peuvent être répartis parmi les membres canadiens de ce groupe. Ce mécanisme flexible de répartition des montants permet aux contribuables de répartir la capacité de déduction du ratio de groupe là où le besoin se fait le plus sentir. Pour profiter de cette disposition, les membres du groupe doivent faire un choix conjoint.
Allègement par capacité excédentaire
La capacité excédentaire correspond à l'excédent éventuel du montant maximal que le contribuable est autorisé à déduire au titre des DIF pour l'année. Elle permet au contribuable de bénéficier d'une déduction au titre des RIF s'il n'a pas eu recours au ratio de groupe et s'il possède une capacité excédentaire pour l'année et les trois années précédentes.
Lorsqu'un ou plusieurs autres membres canadiens du groupe disposent d'une « capacité excédentaire cumulative inutilisée » composée de DIF restreintes, la capacité excédentaire cumulative non utilisée peut être transférée par l'un des membres canadiens du groupe à un autre membre du groupe. La capacité excédentaire cumulative non utilisée d'un membre donné du groupe correspond généralement à toute sa capacité excédentaire déterminée pour l'année, à laquelle s'ajoute tout report provenant des trois années d'imposition précédentes. Pour bénéficier de cette disposition, les membres du groupe doivent faire un choix conjoint. Un groupe comprend généralement des sociétés affiliées.
Entités exclues
Les règles du RDEIF auront des répercussions sur les sociétés, les fiducies, les membres de sociétés de personnes canadiens ainsi que les succursales canadiennes de sociétés non résidentes. Elles proposent toutefois une exclusion pour certaines entités. Les entités suivantes sont exclues de l'application des règles du RDEIF parce qu'elles ne présentent pas un risque important pour l'érosion de la base d'imposition canadienne :
- Les sociétés qui sont des sociétés privées sous contrôle canadien tout au long de l'année et qui, avec toute société associée, ont un capital imposable utilisé au Canada inférieur à 15 millions de dollars (soit la limite supérieure de la fourchette d'élimination progressive pour la déduction accordée aux petites entreprises);
- Les sociétés ou les fiducies qui font partie d'un groupe de sociétés et de fiducies affiliées résidant au Canada dont le total des dépenses nettes d'intérêts et de financement s'élève à 250 000 $ ou moins;
- Certaines sociétés et fiducies autonomes résidentes du Canada ainsi que les groupes composés exclusivement de sociétés et de fiducies résidentes du Canada dont les activités sont pratiquement toutes exécutées au Canada. Cette exclusion ne s'applique que si
- aucune société non résidente n'est une société étrangère affiliée d'un membre du groupe, ou ne détient une participation importante dans un membre du groupe,
- et qu'aucun membre du groupe n'a un montant important de DIF payables à un « investisseur indifférent relativement à l'impôt » (s'entend généralement des non-résidents du Canada et des entités exonérées d'impôt).
Malheureusement, les règles ne prévoient aucune exception pour les projets d'avantages au public, les entités à tarifs réglementés qui sont généralement à prédominance de capital ou les biens-fonds. Il reste à voir si des exceptions seront ajoutées aux règles à l'avenir.
Voici d'autres informations pertinentes pour les contribuables :
- Les règles du RDEIF permettent à deux sociétés canadiennes de choisir conjointement d'exclure certains paiements d'intérêts des nouvelles règles de restriction des intérêts. Ce choix vise à s'assurer que les règles du RDEIF n'ont pas de répercussions sur les opérations courantes des groupes de sociétés canadiennes, de sorte que les pertes subies par un membre du groupe soient déduites du revenu d'un autre membre du groupe.
- Les DIF refusées peuvent faire l'objet d'un report prospectif sur une période de vingt ans. Ces DIF ne peuvent pas être reportées rétrospectivement, mais le report prospectif de la capacité excédentaire cumulative inutilisée sur trois ans permet d'obtenir un résultat semblable.
- Si des dispositions limitant le transfert des pertes (soit en cas d'« acquisition de contrôle ») sont en place, les DIF restreintes reportées par le contribuable demeurent généralement déductibles, pourvu que le contribuable maintienne des activités identiques ou semblables à la suite de l'acquisition de contrôle. Les reports prospectifs de pertes autres qu'en capital font l'objet d'un traitement semblable. Toutefois, la capacité excédentaire cumulative inutilisée d'un contribuable donné prend fin le jour d'une acquisition de contrôle.
Observations de BDO et points importants à retenir
Tous ces renseignements sur les nouvelles règles de déductibilité des intérêts peuvent paraître accablants et complexes pour les contribuables. Bien que l'ensemble des renseignements doivent être examinés, BDO a rassemblé quelques points importants à retenir pour vous aider à comprendre les répercussions de ces nouvelles règles.
- Les contribuables possédant des mécanismes de prêts devraient procéder à une modélisation détaillée afin de déterminer s'ils seront touchés par ces règles. Il se peut que les conventions de prêts existantes ne puissent être restructurées sans que cela entraîne de coûts considérables.
- Les sociétés canadiennes cherchant à étendre leurs activités à l'international devraient déterminer s'il est faisable sur le plan commercial que des sociétés étrangères affiliées contractent des prêts garantis directement auprès des prêteurs par l'entremise de la société mère dont le siège social est au Canada.
- Les investisseurs en capital-investissement et autres qui se préparent à acquérir des entités canadiennes ciblées doivent évaluer et modéliser les répercussions potentielles des règles du RDEIF et déterminer si les coûts de financement devront être attribués à la société canadienne ou laissés à la société mère étrangère.
- Actuellement, les règles de plafond restreint ont toujours préséance sur les règles de déductibilité des intérêts. Les non-résidents qui financent leurs activités canadiennes devront s'assurer de satisfaire aux deux dispositions en matière de déductibilité des intérêts.
- Les contribuables canadiens qui font partie d'un groupe multinational plus grand devraient déterminer si une participation à un ratio de groupe plus grand leur serait bénéfique.
- Un choix doit être fait pour plusieurs dispositions. Il convient de dresser, pour chaque contribuable, une liste des choix qu'il doit faire ainsi que les échéanciers connexes.
Le projet de loi aura des répercussions considérables sur la déductibilité des intérêts et des coûts de financement pour tout groupe canadien exerçant ses activités à l'international ou tout groupe non résident exerçant ses activités au Canada.
L'information présentée est à jour en date du 4 mars 2022.
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