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Lutter contre le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement canadiennes

Pierre Taillefer :

Nous ne cherchons pas à accomplir l'impossible. Il s'agit simplement de démontrer qu'en tant qu'entreprise soumise à la Loi, vous avez évalué votre chaîne d'approvisionnement et établi un plan d'amélioration. Selon mon expérience en matière de conformité réglementaire, il est crucial de démontrer que vous agissez et que vous avez un plan pour parfaire vos pratiques.

Narrateur :

Bienvenue à La comptabilité de l'avenir, un balado de BDO Canada à l'intention des dirigeants financiers qui doivent composer avec le changement et faire croître les affaires. Nous découvrirons les défis auxquels les dirigeants financiers n'ont peut-être pas eu à faire face hier, mais qu'ils devront certainement surmonter demain.

Anne-Marie Henson :

Bonjour et bienvenue à La comptabilité de l'avenir de BDO Canada. Je m'appelle Anne-Marie Henson et j'ai le plaisir d'accueillir aujourd'hui Pierre Taillefer, qui est chef national des Solutions en matière de facteurs ESG et associé au sein des Services-conseils en risque chez BDO Canada. Il donne un fier coup de main aux clients qui souhaitent se doter d'une stratégie ESG et participe activement à la production du rapport ESG de BDO. Pierre, c'est un plaisir de vous accueillir de nouveau.

Pierre Taillefer :

Merci, Anne-Marie. Je suis très heureux d'être de retour pour discuter des critères ESG. Certaines choses ont changé depuis notre dernière conversation et j'ai hâte de vous en parler.

Anne-Marie Henson :

Merci d'être des nôtres. L'année dernière, vous aviez participé à notre épisode intitulé « L'importance du “G” dans les facteurs ESG », qui portait sur les questions de gouvernance. Avant que nous plongions dans le sujet d'aujourd'hui, pourriez-vous nous résumer ce qui s'est passé depuis dans l'univers des critères ESG? Les normes et la réglementation encadrant la production de rapports ont-elles beaucoup évolué depuis le début de 2023?

Pierre Taillefer :

Tout d'abord, des changements notables ont été apportés aux pratiques européennes. Depuis notre dernière conversation, l'IFRS Foundation, qui supervise la publication intégrée des états financiers et des informations non financières, a mis au point deux normes dont la date d'entrée en vigueur reste à déterminer. Elles concernent les enjeux climatiques, comme les émissions de gaz à effet de serre, et d'autres informations non financières que l'on s'attend à trouver dans les rapports intégrés. Globalement, elles couvriront les questions d'environnement, de société et de gouvernance, et s'appliqueront d'abord aux sociétés cotées en bourse, mais aucun organisme de réglementation n'a encore annoncé la date à laquelle ces normes prendront effet. Sur le plan des audits intégrés, l'Europe va de l'avant avec sa directive sur la publication d'informations en matière de développement durable par les entreprises et la publication de rapports intégrés. En plus des sociétés cotées en bourse, de petites et de grandes sociétés fermées seront aussi concernées, selon leur nombre d'employés et leur chiffre d'affaires.

Cette directive exigera la réalisation d'audits intégrés selon des critères précis semblables à ceux des IFRS, mais pour les pays européens et les entreprises étrangères présentes en Europe. Les entreprises canadiennes qui vendent leurs produits là-bas et dont le nombre d'employés et le chiffre d'affaires atteignent un certain seuil en Europe devront s'y soumettre. Les Européens commencent donc à produire et à auditer des rapports intégrés.

Au Canada, certains changements ont aussi été apportés aux exigences réglementaires. À compter de 2024, le Bureau du surintendant des institutions financières exige des grandes institutions financières qu'elles rendent compte de leurs émissions de gaz à effet de serre et de leurs stratégies pour réduire ces émissions. Ainsi, les grandes banques et les compagnies d'assurances doivent non seulement publier de l'information sur leurs propres émissions, mais aussi sur celles des clients auxquels elles prêtent de l'argent. C'est ce qu'on appelle les « émissions financées ». Les entreprises canadiennes sont soumises à ce cadre réglementaire en fonction des montants qu'elles empruntent aux grandes banques. Enfin, il y a loi canadienne sur la lutte contre le travail forcé, qui a suscité un vif intérêt ces derniers mois. Nous en parlerons plus tard.

Anne-Marie Henson :

Il se passe donc beaucoup de choses, et il semble qu'une part d'incertitude persiste au sein des entreprises qui se demandent ce que ces changements signifient pour elles et ce qu'elles doivent publier comme informations. À l'heure actuelle, ces règles s'appliquent aux très grandes entreprises et aux institutions financières, c'est bien cela?

Pierre Taillefer :

Au Canada et aux États-Unis, il n'est pas obligatoire de produire de rapports sur les critères ESG à proprement parler. Les enjeux environnementaux, par exemple l'eau et les gaz à effet de serre, les enjeux sociétaux, notamment la diversité, l'équité et l'inclusion, et ceux qui sont liés à la chaîne d'approvisionnement ainsi que les enjeux de gouvernance dont avons discuté l'année dernière, relèvent des conseils d'administration, des codes de conduite, des politiques de dénonciation et des programmes d'éthique. Sur le plan strictement réglementaire, il n'y a donc aucune exigence.

Cela dit, de nombreuses grandes entreprises et sociétés cotées en bourse choisissent tout de même de se doter de programmes ESG. Aussi, en fonction du point où se situent nos auditeurs dans la chaîne de valeur d'une entreprise cotée en bourse, il est fort probable qu'ils se fassent demander ce qu'ils font sur le plan des critères ESG. Pour la plupart d'entre eux, il est donc essentiel de déterminer où ils se situent et de commencer à réfléchir à ces enjeux, même si nous ne savons pas encore quand les exigences réglementaires à ce sujet entreront en vigueur. Lorsque ce sera le cas, comme il est question des IFRS, les sociétés cotées en bourse seront les premières touchées.

Anne-Marie Henson :

Merci de ce petit tour d'horizon. Aujourd'hui, j'aimerais que nous parlions de cette loi relativement nouvelle au Canada, la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d'approvisionnement, et de ce qu'elle signifie non seulement pour les très grandes sociétés et les sociétés cotées en bourse, mais pour de nombreuses autres entreprises également. Avant de vous demander de mettre en contexte cette loi et ses répercussions, j'aimerais souligner qu'il s'agit de la toute première fois que nous discutons en détail d'un changement législatif à ce balado. Habituellement, nous nous intéressons aux tendances générales et aux événements susceptibles de toucher les services des finances. Cette loi mérite toutefois qu'on s'y attarde, car sa portée s'étend sur l'ensemble des chaînes de valeur, tant la vôtre que celles dont vous faites partie. Je pense que nous assistons peut-être au début de quelque chose, à la mise en place de politiques et de règlements plus fermes. Pour faire une petite mise en contexte, pourriez-vous nous expliquer de quoi il s'agit?

Pierre Taillefer :

Bien sûr. Il s'agit en quelque sorte de la loi canadienne sur la lutte contre l'esclavage. Ce n'est pas une première; d'autres lois du genre existent ailleurs dans le monde. Il s'agit d'une mesure prise par le Canada pour gérer adéquatement le risque de travail forcé et de travail des enfants dans la chaîne d'approvisionnement. Les entreprises qui font des affaires au pays et qui sont soumises à cette loi doivent se renseigner sur leurs fournisseurs et faire le nécessaire pour réduire le risque de travail forcé et de travail des enfants dans leur chaîne d'approvisionnement. Comme vous le disiez, c'est une loi dont la portée est considérable. Elle s'applique aux sociétés cotées en bourse ainsi qu'aux sociétés fermées qui produisent, vendent, distribuent ou importent des biens au Canada et qui avaient au moins 20 millions de dollars d'actifs, 40 millions de dollars de chiffre d'affaires ou 250 employés dans deux des trois derniers exercices financiers.

Elle relève du ministère de la Sécurité publique. Sa portée est grande, car elle touche de nombreuses sociétés fermées en plus des sociétés cotées en bourse. De plus, il n'est actuellement pas simple de comprendre ce qu'exige la Loi, et jusqu'où il faut aller pour s'y conformer. J'ai mené de nombreuses missions concernant la conformité réglementaire au cours de ma carrière. La première année de l'existence d'une loi suscite des réflexions, car on ne vous dit pas précisément ce que vous devez faire ni comment le faire. Il y a place à l'interprétation. Cela dit, les entreprises concernées ont jusqu'au 31 mai 2024 pour répondre à un questionnaire sur le site Web de Sécurité publique Canada et produire un rapport d'un maximum de dix pages. Ce document doit être accessible sur leur site Web et indiquer comment elles s'y prennent pour limiter le risque de travail forcé et de travail des enfants dans leur chaîne d'approvisionnement.

Par ailleurs, la chaîne d'approvisionnement n'est pas circonscrite. Il faut donc aller au-delà des fournisseurs immédiats et remonter jusqu'aux ressources premières, par exemple les minerais et les intrants, qui servent à la production d'un bien. Il faut réfléchir aux exigences et bien les comprendre, car l'approche fondée sur le risque de travail forcé et de travail des enfants est sujette à interprétation. Ce que nous faisons en ce moment, c'est d'aider les entreprises à déterminer si elles sont concernées ou non et, le cas échéant, ce qu'elles doivent faire, et comment elles doivent s'y prendre pour répondre aux exigences.

Anne-Marie Henson :

Ce n'est pas une mince tâche et la date limite du 31 mai approche rapidement.

Pierre Taillefer :

C'est pratiquement demain matin.

Anne-Marie Henson :

Oui, absolument. Vous en avez parlé un peu, mais pouvez nous en dire plus sur l'importance, pour les entreprises canadiennes, de bien comprendre les exigences et de s'y conformer? Sur ce que cela signifie concrètement pour elles?

Pierre Taillefer :

Tout d'abord, elles s'exposent à des amendes si elles ne respectent pas la Loi. Le site Web de Sécurité publique Canada fait en effet état de pénalités. Mais au-delà des risques liés à la non-conformité, il y a les critères ESG. Dans la composante « société », peu de lois ont une portée aussi grande que celle-ci. Sur le plan social, en ce qui concerne la chaîne d'approvisionnement, nous nous penchons sur les émissions de gaz à effet de serre ainsi que sur le travail forcé et le travail des enfants. Cette loi porte sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants. Comme je le disais, puisque c'est nouveau, il y a place à l'interprétation en ce qui concerne les informations à inclure dans le rapport, et tout manquement peut entraîner des pénalités pour les entreprises.

Il est donc crucial pour toutes les entreprises au Canada, que la Loi s'applique à elles ou non, de bien comprendre les exigences et d'agir en conséquence. Compte tenu de l'approche fondée sur le risque, je pense qu'il vaut mieux commencer modestement en visant une amélioration continue. En prévision du premier rapport à produire d'ici le 31 mai, vous devez déterminer si vous êtes directement touché ou non. Si vous faites partie de la chaîne d'approvisionnement d'une grande entreprise assujettie à la Loi, celle-ci vous interrogera sans doute au sujet de vos mesures pour réduire le risque de travail forcé et de travail des enfants.

Anne-Marie Henson :

C'est un très bon point. Vous pourriez vous dire que cela ne vous concerne pas, car vous n'avez pas 40 millions de dollars de chiffre d'affaires ou 20 millions de dollars d'actifs. Cependant, si vous êtes le fournisseur d'une entreprise qui répond à ces critères, vous devez vous attendre à devoir lui fournir ces informations. Que l'on soit directement visé par la Loi ou non, il est donc important de penser à recueillir ces données, au cas où l'on devrait les fournir dans l'avenir. Je présume que vous avez commencé à en discuter avec des entreprises. Comment les gens réagissent-ils?

Pierre Taillefer :

Les gens sont généralement peu informés. BDO a lancé une campagne à ce sujet l'automne dernier sur LinkedIn, sans que cela suscite beaucoup de réactions. Par contre, depuis janvier, les entreprises sont plus nombreuses à nous consulter pour savoir si la Loi s'applique à elles et ce qu'elles doivent faire. Beaucoup de gens ne sont toujours pas au courant de l'existence de cette loi, même si le premier rapport est dû le 31 mai. Cela dit, ce rapport porte sur l'année 2023. La plupart des entreprises qui nous consultent ne sont pas prêtes à fournir tous les renseignements nécessaires à Sécurité publique Canada et à produire leur rapport de 2023.

Elles cherchent à comprendre les exigences et nous demandent comment procéder. Elles n'ont rien mis en place. Nous leur offrons des solutions pratiques. Même si une entreprise n'est pas tenue de se conformer à la Loi, elle doit d'abord et avant tout comprendre où elle se situe dans la chaîne de valeur de sociétés cotées en bourse ou à qui la Loi s'applique. C'est la base. Devez-vous vous conformer à la Loi ou non? Si la réponse est non, faites-vous partie de la chaîne de valeur d'une société tenue de le faire? Le cas échéant, vous pourriez devoir évaluer votre chaîne d'approvisionnement en adoptant une approche fondée sur le risque à l'égard de vos fournisseurs.

Anne-Marie Henson :

Lorsqu'on pense à la chaîne de valeur et au risque de travail forcé et de travail des enfants, on s'aperçoit sans doute que certains secteurs d'activité sont plus susceptibles que d'autres d'être touchés. Avez-vous des exemples de secteurs dont les chaînes de valeur pourraient être scrutées à la loupe en raison de la méfiance qu'elles suscitent?

Pierre Taillefer :

D'abord et avant tout, il faut évaluer le risque de travail forcé et de travail des enfants, qui est plus grand dans certains secteurs que dans d'autres. Les secteurs de la fabrication, de la distribution et du commerce de détail sont largement touchés en raison des exigences applicables à la production, à la vente et à la distribution de biens ou à leur importation au Canada.

Les entreprises actives dans différents secteurs d'activité doivent évaluer le risque. D'où proviennent les biens que j'achète? Cet endroit est-il associé à un risque accru de travail forcé ou de travail des enfants? Les secteurs de la fabrication, de la distribution et du commerce de détail sont particulièrement touchés par ces questions, mais ce ne sont pas les seuls. Dans le secteur des technologies, la Loi s'applique à l'importation de pièces ou du matériel informatique au Canada. Même si vous n'êtes pas un fabricant, si vous distribuez des biens, vous devez vous poser ces questions : quels sont les biens que j'achète et d'où proviennent-ils? Des clients du secteur immobilier nous consultent à ce sujet, car s'ils achètent de l'équipement de chauffage, de ventilation et de climatisation à l'étranger et qu'ils répondent aux critères établis, la Loi s'applique à eux.

C'est donc une approche fondée sur le risque, et le risque dépend de ce que vous achetez. La provenance des biens est également un élément important à considérer. Au Canada, le risque de travail forcé et de travail des enfants est généralement faible, mais la situation est différente dans d'autres régions du monde. C'est une question de concentration… D'abord, qu'est-ce que vous achetez ou où l'achetez-vous? Le profil de votre entreprise et vos sources d'approvisionnement déterminent ce que vous devez faire.

Anne-Marie Henson :

Dans des secteurs comme ceux des technologies, de la fabrication et des aliments et boissons, où l'on importe des biens de partout dans le monde, comment l'entrée en vigueur de la Loi modifiera-t-elle les pratiques? Le premier rapport doit être déposé d'ici le 31 mai, mais je présume que l'exercice sera à refaire chaque année. Ce n'est pas quelque chose qu'on ne fait qu'une seule fois. À quels types de changements vous attendez-vous?

Pierre Taillefer :

C'est intéressant. J'ai assisté cette semaine à une conférence sur l'agriculture et le sujet y a été abordé. Les questions étaient nombreuses. Les entreprises ne sont pas toutes tenues de se conformer à la Loi. Disons que la société A, qui est tenue de le faire, s'approvisionne auprès de la société B. Comment doit-elle s'y prendre pour évaluer la chaîne d'approvisionnement de cette dernière? Elle doit mettre en place un processus de vérification diligente et d'évaluation du risque, mais pour ce faire, elle doit pouvoir compter sur la collaboration de ses fournisseurs. En fin de compte, il faudra poser beaucoup plus de questions aux différents acteurs de la chaîne de valeur pour comprendre comment ils gèrent le risque.

Certaines entreprises établissent des codes de conduite à l'intention de leurs fournisseurs. Cette pratique est appelée à devenir de plus en plus courante. Les fournisseurs devront être en mesure de rendre des comptes s'ils veulent faire affaire avec des entreprises soumises à des exigences de conformité. Ces dernières vont mettre en place un code de conduite pour l'ensemble de leur chaîne d'approvisionnement.

L'objectif, au bout du compte, est d'atténuer le risque de travail forcé et de travail des enfants dans la chaîne d'approvisionnement canadienne. Si une entreprise ne parvient pas à obtenir les renseignements nécessaires de ses fournisseurs, elle cessera de faire affaire avec eux. Ces fournisseurs ne pourront plus vendre leurs biens sur le marché canadien. J'entrevois donc l'adoption de nombreux codes de conduite des fournisseurs. Les entreprises pourraient aussi aider leurs fournisseurs à se conformer aux exigences. Ces questions sont fréquentes dans le domaine des critères ESG. Vos principaux fournisseurs sont-ils en mesure de vous fournir les renseignements voulus au sujet du travail forcé et du travail des enfants? Y a-t-il d'autres fournisseurs avec lesquels vous pouvez faire affaire? Si ce n'est pas le cas, comment pouvez-vous aider vos fournisseurs à se conformer aux exigences? Il s'agit d'un travail d'équipe. J'ai vu de nombreuses entreprises aider leur chaîne d'approvisionnement à fournir les renseignements nécessaires. Ce sont les tendances qui se dessinent.

Anne-Marie Henson :

C'est très intéressant. Nous pouvons espérer que cela rendra les chaînes d'approvisionnement plus transparentes et que l'on communiquera plus ouvertement au sujet de ces questions. Pour revenir à notre sujet initial, celui de la gouvernance, j'aimerais savoir quelle incidence aura la Loi sur ce plan. Au sein d'une entreprise qui est directement touchée par la Loi ou qui a des clients qui le sont, qui gère l'obligation de rendre des comptes et qui doit participer au processus?

Pierre Taillefer :

Jusqu'ici, c'est un enjeu qui relève de la haute direction, et comme les achats font partie des activités d'exploitation, le service de l'approvisionnement est également concerné. Au sommet de l'échelle, nous avons discuté de ces sujets avec des chefs de la direction, des chefs de l'exploitation, des responsables des TI et des responsables de la conformité, car il faut prendre les mesures nécessaires pour respecter la Loi. Selon moi, les ressources humaines doivent aussi être mises à contribution pour que le changement soit bien géré et pour déterminer s'il existe un risque de concentration en fonction de la manière dont sont traités les employés dans différents pays. Les ressources humaines sont bien placées pour cela. La responsabilité au sein des entreprises relève donc davantage de l'exploitation que des finances.

Anne-Marie Henson :

À force d'en discuter avec des entreprises, vous devez avoir une bonne idée des difficultés qu'elles doivent surmonter. Qu'est-ce que vous les aidez à accomplir dans le contexte de cette nouvelle réalité à laquelle elles doivent s'adapter?

Pierre Taillefer :

D'abord, il faut sensibiliser les entreprises. Ensuite, il faut déterminer si elles sont touchées ou non. J'avais une rencontre ce matin avec une entreprise à laquelle la Loi pouvait s'appliquer selon nous. Après avoir discuté des activités de cette dernière, nous avons conclu qu'elle n'était pas touchée directement, qu'elle n'avait pas à produire de rapport, mais qu'elle faisait partie d'une chaîne de valeur qui la forcera à réfléchir à la question.

Donc, il faut d'abord déterminer si cela s'applique à vous ou non. Ensuite, il faut comprendre ce que vous devez faire. C'est une question à laquelle il n'existe pas de réponse claire et définitive. Comme l'approche est fondée sur le risque, vous n'avez pas à évaluer votre chaîne d'approvisionnement au grand complet. Ce que je suggère, c'est de commencer par dresser la liste de vos fournisseurs. Vous avez établi que la Loi s'appliquait à vous. Qui sont vos fournisseurs? Où sont-ils situés? Quels biens achetez-vous? Commencez par interroger dix ou quinze de ces fournisseurs afin de comprendre comment ils évaluent le risque de travail forcé et de travail des enfants. Selon moi, il s'agit d'un point de départ raisonnable. Certaines informations doivent être incluses dans le rapport et publiées sur le site Web des entreprises concernées. La façon de mettre tout cela en œuvre n'est pas encore coulée dans le béton. Il est impossible d'évaluer l'entièreté de la chaîne d'approvisionnement, et ce n'est pas ce qu'exige la Loi de toute façon.

Il faut établir un processus, cibler les secteurs où vous n'êtes peut-être pas en mesure de répondre aux questions. Il est possible que vous n'ayez pas évalué le risque de travail forcé ou de travail des enfants. Vous devez d'abord déterminer si cela s'applique ou non à vous en fonction de vos activités. Ensuite, vous devez évaluer vos fournisseurs et mesurer le niveau de risque. Qu'est-ce que vous achetez et où l'achetez-vous? Nous pouvons ainsi établir un plan de match pour que vous soyez en mesure de répondre au questionnaire d'ici le 31 mai, de préparer votre rapport et d'améliorer vos réponses au fil de temps.

Anne-Marie Henson :

Cette approche me plaît et elle a de quoi rassurer nos auditeurs que l'ampleur de la tâche pourrait décourager. Comme vous le dites, il s'agit d'un processus d'amélioration continue. Ne rien faire n'est évidemment pas la solution. Il faut commencer par ce qui est réalisable, ce qui est à notre portée, et parfaire nos pratiques au fil du temps, n'est-ce pas?

Pierre Taillefer :

À cette conférence où j'étais cette semaine, plusieurs personnes étaient d'avis que nous ne cherchions pas ici à accomplir l'impossible. Nous ne visons pas la perfection. Il s'agit simplement de démontrer qu'en tant qu'entreprise soumise à la Loi, vous avez évalué votre chaîne d'approvisionnement et établi un plan d'amélioration. Selon mon expérience en matière de conformité réglementaire, il est crucial de démontrer que vous agissez et que vous avez un plan pour parfaire vos pratiques. Vous pouvez ainsi renforcer graduellement votre processus de gestion du risque au sein de la chaîne d'approvisionnement.

Anne-Marie Henson :

Les gens qui se demandaient quoi faire seront sans doute soulagés d'entendre cela. J'ai une dernière question pour vous : comment entrevoyez-vous l'avenir des rapports ESG? Quelles sont vos prédictions pour les prochaines années?

Pierre Taillefer :

J'aimerais avoir une boule de cristal. Rien n'est encore certain. L'Europe est nettement en avance sur nous en matière de rapports intégrés et elle continuera sur cette voie. Les entreprises canadiennes et américaines qui vendent leurs produits là-bas doivent en tenir compte. Dans combien de temps les pratiques européennes finiront-elles par influencer ce qui se fait en Amérique du Nord? Cela reste à voir.

Selon moi, les normes du Conseil des normes internationales d'information (« ISSB ») sur la durabilité et la production de rapports intégrés devraient être adoptées au Canada d'ici deux ou trois ans. Nous constatons une certaine lassitude à l'égard des critères ESG dans le monde des affaires. Des gens disent ne pas savoir ce que tout cela signifie et ne pas vouloir en entendre parler, mais cette réalité est là pour durer. Au Canada, les sociétés cotées en bourse devront sans doute produire des rapports intégrés sur le développement durable d'ici deux ou trois ans. Le Conseil des normes comptables du Canada travaille également à l'élaboration de normes d'audit intégrées applicables aux sociétés fermées. Leur mise en œuvre pourrait se faire d'ici cinq à dix ans, et celle des normes de l'ISSB, d'ici deux ou trois ans. En matière de rapports intégrés, nous allons commencer par fournir une assurance limitée, avant de passer à une assurance raisonnable au fil du temps.

Anne-Marie Henson :

Tant mieux si cela se fait graduellement. Je constate aussi une certaine lassitude à l'égard des critères ESG, mais je pense que nous devons accepter le fait qu'ils font désormais partie de notre vie. C'est une chose que les propriétaires d'entreprises devront garder à l'esprit, comme les états financiers et les déclarations de revenus, n'est-ce pas?

Pierre Taillefer :

Oui. Il ne s'agit pas uniquement de présenter ses résultats financiers; on doit également expliquer comment on les a obtenus. Il faut se faire à l'idée. Des obligations réglementaires en ce sens viendront tôt ou tard.

Anne-Marie Henson :

Tout cela est fort intéressant et je suis certaine que nous aurons régulièrement l'occasion d'en reparler.

Pierre Taillefer :

Je suis toujours partant.

Anne-Marie Henson :

Merci d'avoir pris le temps de nous éclairer aujourd'hui. J'espère que nos auditeurs ont trouvé notre discussion intéressante. Je les remercie d'ailleurs d'être fidèlement à l'écoute. Je m'appelle Anne-Marie Henson, et c'était La comptabilité de l'avenir de BDO. N'hésitez pas à nous faire savoir si vous avez trouvé le sujet intéressant et utile, et n'oubliez pas de vous abonner si vous l'avez aimé. En attendant, je vous dis à la prochaine!

Narrateur:

Merci d'avoir été des nôtres pour cet épisode de La comptabilité de l'avenir. Vous pouvez écouter les épisodes précédents et lire d'autres articles sur le sujet à l'adresse www.bdo.ca/accountingforthefuture. Vous pouvez également vous abonner sur Apple Podcasts, Spotify ou Google Balados. Pour obtenir de plus amples renseignements sur BDO Canada, visitez le www.bdo.ca.

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