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Acceptation des mesures non conformes aux PCGR

Anthony Scilipoti :

Il y aura toujours de l'incertitude. Savoir que l'équipe de direction est prête à faire face à cette incertitude me rassure en tant qu'investisseur. Je me dis que ces gens savent ce qu'ils font, qu'ils avancent la tête haute et qu'ils cherchent à anticiper le jeu.

Narrateur :

Bienvenue à La comptabilité de l'avenir, un balado de BDO Canada à l'intention des dirigeants financiers qui doivent composer avec le changement et faire croître leur entreprise.

Nous y dévoilerons les défis que les dirigeants financiers pourraient ne pas avoir relevés, mais qu'ils devront absolument gérer à l'avenir.

Armand Capisciolto :

Bonjour et bienvenue à La comptabilité de l'avenir. Je m'appelle Armand Capisciolto, associé au sein du Service national des normes comptables et chef des Services-conseils en comptabilité de BDO Canada. Dans l'épisode d'aujourd'hui, j'accueille le président et chef de la direction de Veritas Investment Research, Anthony Scilipoti, qui participe depuis de nombreuses années à l'établissement des normes comptables. À l'heure actuelle, il est co-président du Capital Markets Advisory Committee, qui donne à l'International Accounting Standards Board le point de vue des utilisateurs des états financiers.

Anthony, bienvenue à La comptabilité de l'avenir.

Anthony Scilipoti :

C'est un plaisir pour moi, d'être ici aujourd'hui, Armand.

Armand Capisciolto :

C'est avec enthousiasme que je prends part à cette conversation qui, je crois, apportera un point de vue très intéressant et différent à nos auditeurs. Notre auditoire compte généralement des préparateurs d'états financiers, des directeurs financiers et des contrôleurs d'entreprises du marché intermédiaire. Or, les entreprises et leurs auditeurs, et je suis le premier à l'admettre à ce titre, oublient parfois la raison pour laquelle ils préparent et auditent des états financiers, c'est-à-dire permettre à des gens comme vous de prendre des décisions en matière d'affectation de capital. Si une entreprise ne répond pas aux besoins des utilisateurs des états financiers, elle n'obtient pas le capital qu'elle désire, ou dont elle a besoin, pour déployer ses stratégies.

Anthony Scilipoti :

C'est une épine dans le pied depuis mes débuts. C'est vraiment ce qui m'a donné envie de réfléchir sur les normes comptables, ce que je fais depuis 2003. Cette question date de la commission Macdonald, si nous revenons au début des années 1970, et porte sur l'écart par rapport aux attentes. C'est une demande que je fais souvent aux équipes de direction quand je leur pose des questions au sujet des informations fournies et de leur présentation.

Voici la réponse que je préfère : « Oh! Tout est dans les notes. Tout ce dont vous avez besoin y est. »

Quand on me donne ce genre de réponse, je sais que j'ai mis le doigt sur quelque chose, car je lis probablement un peu plus facilement les états financiers que la personne moyenne. Si je ne comprends pas une information, c'est parce qu'on ne veut pas que je la comprenne. Ce n'est pas grave. Par contre, je vais prendre ma décision en la fondant sur les conclusions que j'ai tirées de ma lecture. C'est un élément à retenir. Je m'en sers aussi pour indiquer aux équipes de direction qu'elles doivent retravailler une note. Quand nous y pensons, nous connaissons les utilisateurs de nos états financiers, car ils sont proches de nous. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a toutes sortes de gens qui lisent les états financiers. Je comprends l'ampleur du défi. Ce peut être des employés, des clients, des concurrents; j'en suis bien conscient. J'ai ma propre entreprise et mes propres états financiers. Je crains que d'autres personnes ne les lisent eux aussi. Bien sûr, il s'agit d'une entreprise privée et l'enjeu n'est pas le même, mais je comprends tout à fait. J'invite donc toujours les équipes de direction à faire lire la note en question à une personne qui n'est pas en finance et à lui demander si elle comprend exactement ce qu'elle dit. Si cette personne n'y parvient pas, alors il faut retravailler la note. D'ailleurs, je reconnais tout de suite le travail derrière une phrase parfaite. Voici ce que je dis aux utilisateurs quand je lis une telle phrase : « Savez-vous combien d'heures ont été consacrées à la rédaction de cette note que vous ne vous donnez pas la peine de lire? Après, vous vous plaignez qu'il manque quelque chose. Eh bien, lisez-la. »

J'invite aussi les préparateurs à demander à quelqu'un qui n'est pas en finance de lire le rapport. La rédaction de rapports, c'est notre travail. Je conseille donc à mon analyste de demander à son conjoint, à sa douce moitié, à une personne dont le travail n'est pas en lien avec les marchés financiers ou la comptabilité de lire le rapport. S'il ne lui semble pas clair, il faut se remettre au travail.

Armand Capisciolto :

J'adore votre conseil, Anthony.

J'avoue que nous, les comptables, et je m'inclus encore une fois, faisons souvent appel à notre jargon. Nous employons beaucoup de mots que la personne moyenne et même les gens d'affaires moyens ne comprennent pas. J'adore parler des instruments financiers et de leur division. Combien de personnes comprennent ce que je veux dire quand je parle de diviser un instrument financier? Personne ne comprend ce concept, sauf les autres mordus de comptabilité comme moi. J'aime beaucoup votre suggestion de-

Anthony Scilipoti :

Et ce n'est pas tout, vous voulez le diviser d'une certaine façon, moi, je veux le diviser d'une autre. Le pire, c'est que nous pensons tous deux avoir raison. L'utilisateur lit les états financiers et ne sait pas du tout de quoi il en retourne.

Armand Capisciolto :

En effet. C'est un très bon conseil. Vous avez aussi mentionné les rapports que vous rédigez. Bien que vos travaux datent d'avant 2016, c'est seulement à ce moment que je vous ai découverts, vous et Veritas. Vous avez publié un rapport sur l'utilisation de mesures non conformes aux principes comptables généralement reconnus, les PCGR. Il s'agissait d'un rapport très intéressant qui a reçu une belle couverture dans la presse financière. Je crois que la première fois que j'ai lu à son sujet, c'était dans le Globe. Il y avait un article qui le résumait. Pouvez-vous nous donner un aperçu des points saillants de ce rapport?

Anthony Scilipoti :

Tout a commencé après la bulle Internet. C'était le début. Je me souviens avoir pris la parole à l'occasion d'une conférence de CFA en 2001. J'ai dit : « Nous avons un problème parce que nous utilisons toutes ces mesures non conformes aux PCGR. » On parlait des bénéfices avant tous les mauvais points. Il y avait tant de mauvais points que les entreprises en étaient venues à utiliser leur revenu comme prix de vente. Eh bien, 20 ou 21 ans plus tard, nous sommes encore aux prises avec le même problème. Nous évaluons encore ces entreprises au prix de vente avec le rêve, pas l'espoir, mais bien le rêve qu'elles généreront de l'argent.

Les investisseurs se font des cheveux blancs : « Un instant! Pourquoi le cours des actions baisse-t-il? » Eh bien, si les perspectives de bénéfices, qui sont projetées loin dans l'avenir, deviennent limitées en raison des fluctuations des taux d'intérêt, le coût du capital grimpe et la valeur actualisée de ces flux de trésorerie de rêve diminue, ce qui fait également chuter la valeur de l'investissement. En 2004, les États-Unis ont adopté le règlement G. Pour ne pas être en reste, le Canada s'est quant à lui doté d'une directive plutôt que d'un règlement. Cependant, je ne suis pas sûr de ce que signifie une directive. C'est un peu dire : « Faites-le ou ne le faites pas. » Je n'en suis pas sûr. Voilà ce que nous avions au Canada. À l'époque, j'ai fait des pieds et des mains pour qu'on se dote d'un règlement. Le gouvernement ne peut pas seulement formuler des recommandations, puis s'offusquer que les entreprises ne les suivent pas.

Quoi qu'il en soit, je dis souvent qu'en sachant ce que je ne suis pas en droit de faire, je sais ce que je suis en droit de faire. C'est d'ailleurs pourquoi je préfère les règles flexibles aux règles précises, mais c'est une autre histoire. Bref, j'arrive maintenant au rapport que nous avons rédigé en 2016. À un certain moment, on me citait comme suit : « Les mesures financières non conformes aux PCGR sont la racine de tous les maux de la présentation de l'information financière. » En effet, elles donnent un faux sentiment de sécurité qui s'appuie sur un chiffre qui n'est pas audité. Il n'y a pas de normes. Ce chiffre peut changer au gré des humeurs de l'équipe de direction. Malheureusement, cette situation peut mener à de nombreux problèmes. Le rapport que nous avions rédigé examinait les indices S&P/TSX 60 et S&P 500. Nous avons déterminé la proportion d'entreprises ayant inclus une mesure liée aux bénéfices non conforme aux PCGR dans leurs rapports réglementaires. C'est très important, car on parle ici des rapports réglementaires et non seulement des communiqués de presse.

Nous avons essentiellement tiré quatre conclusions. Premièrement, les mesures non conformes aux PCGR sont biaisées à la hausse. Elles ne sont pas comparables et diffèrent substantiellement des mesures conformes aux PCGR. Deuxièmement, une plus grande proportion des membres du TSX 60 présentent des mesures non conformes aux PCGR comparativement à ceux de l'indice S&P 500. Troisièmement, selon notre estimation, environ 35 % des membres du TSX 60 étaient en désaccord avec les lignes directrices établies à l'époque par les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières. Quatrièmement, les mesures non conformes aux PCGR sont importantes pour l'évaluation, pas seulement pour la comptabilisation.

Nous en avons effectué le suivi au cours des années suivantes. C'est devenu une sorte de rituel annuel pour nous que d'examiner les rapports des entreprises afin d'en mesurer la proportion d'utilisation des mesures non conformes aux PCGR. Nos plus récentes données montrent que rien n'a changé. En fait, l'utilisation de ces mesures est encore assez semblable. De 75 % à 80 % des émetteurs les utilisent et incluent des mesures non conformes aux PCGR dans leurs rapports réglementaires. Vous savez, les utilisateurs sont confrontés à des contraintes de temps. Les investisseurs veulent obtenir une réponse rapidement. Ils souhaitent avoir LE chiffre. Ils n'ont rien à faire de toutes ces pages. Ils peuvent avoir 160 rapports annuels de 300 pages à lire. Ensuite, il y a un sous-ensemble, puis une présentation. Tout cela leur donne le vertige, ils ne demandent qu'à obtenir LE chiffre. Les entreprises finissent par dire : « D'accord, j'ai le chiffre.

Le voici. Il est magique. Il s'agit du bénéfice avant intérêts, impôts et dotations aux amortissements, le BAIIA. Je vous le donne. Vous pouvez même l'ajuster, ou peut-être même ajuster les bénéfices ajustés réévalués et corrigés. Tenez, prenez les bénéfices en trésorerie. Je vous donne le chiffre que vous voulez. » Puis, les investisseurs repartent et annoncent à leur gestionnaire de portefeuille : « Regardez, j'ai le chiffre. C'est LE chiffre. Je suis à l'aise avec celui-ci. Achetez le titre. Tout est beau. »

Armand Capisciolto :

Oh, mon Dieu.

Le chiffre magique, j'adore.

Anthony Scilipoti :

Je sais pourquoi cela se produit; je travaille dans ce domaine depuis près de 25 ans. Nous sommes pressés par le temps. Un analyste couvrait autrefois entre 10 et 20 entreprises. Aujourd'hui, les analystes du côté vendeur peuvent en couvrir plus d'une vingtaine. Du côté acheteur, certains gestionnaires de portefeuille couvrent l'ensemble du marché. Ils doivent donc se fier aux analystes pour obtenir un chiffre, et c'est un cycle qui se poursuit.

Armand Capisciolto :

Merci, Anthony.

Il y a tellement d'éléments à couvrir. J'aimerais revenir sur quelques-uns que j'ai trouvé vraiment très intéressants. Il y en a un qui me surprend : c'est la prévalence des mesures non conformes aux PCGR au Canada par rapport aux États-Unis, si l'on compare le TSX 60 et le S&P 500. Y a-t-il une raison à cela?

Anthony Scilipoti :

Oui.

Revenons à la période 2015-2016, où nous avons subi un ralentissement du marché pétrolier et où les prix de l'énergie se sont effondrés. Qu'ont fait les entreprises du secteur des ressources? Elles ont réduit leur valeur. Certains ont jugé que ces réductions de valeur ne comptaient pas, qu'on pouvait ne pas en tenir compte. Maintenant, on se retrouve avec le concept des bénéfices ajustés.

Armand Capisciolto :

D'accord.

On parle ici des bénéfices avant tous les mauvais points auxquels vous faisiez référence, n'est-ce pas?

Anthony Scilipoti :

C'est exact.

Dans le secteur des ressources, ce concept est très populaire. Le problème provient du fait que notre indice boursier compte une pondération plus importante d'entreprises inscrites du secteur des ressources naturelles.

Armand Capisciolto :

D'accord.

Vous avez également mentionné que les gens veulent un chiffre magique, que les analystes manquent de temps, tout comme les utilisateurs. Ces difficultés sont-elles liées à l'agrégation de données et à l'ajout de chiffres dans les modèles? Y a-t-il un problème sous-jacent, un problème du côté de l'offre et un du côté de la demande?

Anthony Scilipoti :

J'ai travaillé sur un sondage destiné aux investisseurs.

Cette fois-là, c'était avec PWC, et c'était à propos de l'utilisation des états financiers. Nous avons donc posé aux investisseurs institutionnels un certain nombre de questions, dont la première était : « Utilisez-vous les états financiers pour prendre des décisions de placement? » Près de 100 % des répondants ont dit que oui, que c'était à la base de leur prise de décisions. Parfait. Nous leur avons ensuite demandé par où ils commençaient : par les notes? par le bilan? On nous répondait : « Oh. Je vais sur Bloomberg pour obtenir les données ou alors sur FactSet ou Refinitiv. C'est ainsi que j'obtiens les chiffres, car cette information provient des états financiers, non? » Or, j'ai déjà donné une présentation qui montre que les données de Bloomberg diffèrent de celles de Refinitiv. Je ne dis pas que Bloomberg a commis une erreur ou que Refinitiv se trompe.

Les entreprises ont parfois leurs propres mesures financières, selon lesquelles elles calculent leur BAIIA, leurs flux de trésorerie disponibles, etc. C'est aussi fréquent lorsque les sociétés présentent leurs revenus nets, déduction faite des subventions gouvernementales, etc. Certaines d'entre elles considèrent ce montant comme étant brut. Ainsi, certaines entreprises indiquent leur produit brut tandis que d'autres indiquent le produit net. Bien sûr, on ne le remarque pas à première vue, et on risque d'en tirer des conclusions erronées.

Armand Capisciolto :

Voilà qui est intéressant.

Les investisseurs utilisent l'information financière, oui, mais ils se tournent vers les systèmes d'agrégation de données plutôt que de lire les états financiers.

Anthony Scilipoti :

Laissez-moi vous donner un exemple. Nos analystes détestent utiliser ces systèmes, et voici pourquoi : lors de la préparation de l'information financière de l'exercice 2021, les états financiers de 2021 sont présentés d'une certaine manière. Puis, vient une petite note au bas de la page expliquant que les chiffres comparatifs de l'exercice 2020 pourraient avoir été modifiés pour se conformer à la présentation de l'exercice courant. Le problème est que nous avons maintenant perdu la tendance. L'entreprise a fait un tour de magie pour cet exercice. Déjà, pour l'exercice précédent, elle avait concocté une recette magique, mais ce n'est pas le même tour de passe-passe que pour l'exercice d'avant.

Vous seriez surpris de constater tous les changements entre deux exercices. Ce ne sont pas des changements importants, mais nous pouvons débattre du sens d'« important ». Je suis même déjà allé au tribunal pour en expliquer le sens. C'est la raison pour laquelle nous voulons voir l'information qui a été fournie à l'origine. Que les entreprises nous présentent ce chiffre et nous pourrons ensuite prendre de meilleures décisions. En fait, il peut même être intéressant de constater les variations.

Armand Capisciolto :

Tout à fait.

Cela m'amène à ma prochaine question. Vous vous affairez présentement à la mise à jour de votre rapport publié en 2016. Vous passez en revue les tendances ainsi que les nombreux changements qui se sont opérés depuis. J'aimerais donc discuter un peu de l'évolution des normes comptables, mais abordons d'abord la réglementation. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont publié le Règlement 52-112, qui remplace l'avis du personnel ou la directive qui existait auparavant. Ce règlement est entré en vigueur l'année dernière et énonce les obligations d'information relatives aux mesures non conformes aux PCGR, y compris le rapprochement avec les éléments conformes à ces mesures. Il impose également d'expliquer tout changement apporté.

Vous avez déjà dit que l'utilisation de mesures non conformes aux PCGR n'a pas diminué, mais avez-vous constaté une amélioration dans l'information fournie depuis l'arrivée de la nouvelle réglementation?

Anthony Scilipoti :

Il est encore un peu tôt pour le dire. Nous serons plus à même de le constater quand nous aurons les données annuelles. Par ailleurs, je suis très favorable aux changements qui ont été apportés. En fait, au Canada, nous avons un peu d'avance sur les États-Unis en ce qui a trait aux règles relatives aux mesures non conformes aux PCGR. J'en félicite nos amis de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. Je sais que Cameron L. McInnis a travaillé fort sur ce dossier, tout comme Alex Fisher. Je suis très satisfait du travail qui a été fait. Je surveille néanmoins la situation de près, car je constate encore un certain nombre de problèmes, dont plusieurs touchant le secteur des fiducies de placement immobilier. Il en va de même pour la présentation des flux de trésorerie d'exploitation, les FTE, qui varie encore beaucoup. Ensuite, le calcul des FTE ajustés et celui de la valeur liquidative sont effectués différemment. Dans le secteur des télécommunications, la présentation des flux de trésorerie disponibles n'est pas la même qu'ailleurs. Cela pourrait toutefois être appelé à changer, même chose pour le BAIIA.

Dans le secteur ferroviaire, la façon de présenter le ratio d'exploitation est différente d'une entreprise à l'autre et peut changer avec le temps. Puis viennent la rémunération à base d'actions et la façon de la traiter dans le calcul du BAIIA. Devrait-on l'inclure ou non? À cet égard, je vais emprunter une citation d'une personne plus sage que moi, quelqu'un qui évolue depuis longtemps dans le milieu. Dans les mots de Warren : « Si ce n'est pas une dépense, qu'est-ce? » Si vous n'avez pas fait le lien, il s'agit de Warren Buffett. Je l'ai répété à tout le monde. Or, les entreprises qui cherchaient à rémunérer leurs employés en options d'achat d'actions font maintenant face à un double coup dur. D'abord, les options d'achat d'actions n'ont désormais pas plus de valeur que le papier sur lequel elles ont été imprimées. Ensuite, les employés exigent dorénavant d'être rémunérés en argent. Par contre, le cours de l'action de l'entreprise a tellement baissé qu'elle ne génère pas de liquidités et doit trouver un moyen pour payer et soutenir ses employés.

Armand Capisciolto :

D'accord, Anthony.

J'aimerais revenir sur quelques points, car je les ai trouvés très intéressants. Vous avez parlé de la rémunération à base d'actions, qui est un type de charges sans incidence sur la trésorerie. Vous avez aussi parlé des FTE et des FTE ajustés de même que des flux de trésorerie disponibles. Est-ce là l'une des raisons pour lesquelles on trouve toutes ces mesures non conformes aux PCGR? Est-ce que l'obligation de comptabiliser ces charges sans incidence sur la trésorerie prévue par les normes comptables contribue à l'utilisation de mesures non conformes aux PCGR?

Anthony Scilipoti :

C'est un raisonnement un peu simpliste, car notre système est basé sur la comptabilité d'exercice. Il faut comprendre que le chiffre obtenu à titre de revenu comprend des éléments de trésorerie et d'autres qui sont hors trésorerie. Ce n'est ni bon ni mauvais, c'est tout simplement ainsi. Les gens souhaitaient connaître les flux de trésorerie; l'état des flux de trésorerie a donc été créé. Cet état fournit des précisions sur les entrées et les sorties de fonds. Toutefois, très peu de personnes comprennent bien ce que raconte cet état, et moins encore savent l'interpréter. Par exemple, pour calculer les flux de trésorerie disponibles, on soustrait des flux de trésorerie d'exploitation les dépenses en immobilisation admissibles. Comme par magie, on dispose alors de flux de trésorerie. Lorsque les investisseurs me demandent de leur fournir ce chiffre, je leur dis : « Un instant! Cette entreprise est-elle en pleine croissance? Est-elle sur son déclin? L'entreprise capitalise-t-elle des éléments d'actif intitulés "autres frais reportés" qui ne sont pas inclus dans les dépenses en immobilisation? Faudrait-il en tenir compte? Oh! Cette entreprise a-t-elle émis plein d'options d'achat d'actions? Devrions-nous en tenir compte dans notre calcul des flux de trésorerie disponibles? Attendez! L'entreprise a affacturé quelques débiteurs. On peut maintenant ajouter toutes sortes de flux de trésorerie d'exploitation aux flux de trésorerie disponibles. » Voici un autre exemple, le plus récent tour de passe-passe. J'en ai eu la larme à l'œil. Nous en avons d'ailleurs fait une étude complète pour ceux qui ont lu nos travaux. Nous avons également toute une séance de formation à ce sujet sur Corillian. C'est une technique fantastique. J'aime le mot « fantastique », car il est associé au surnaturel. Bref, il s'agit d'une comptabilité surnaturelle où une entreprise fait appel à une société de financement pour payer un compte créditeur. Le fournisseur reçoit son argent à l'avance et le compte créditeur semble avoir été payé. Magie!

Soudainement, les flux de trésorerie d'exploitation de l'entreprise semblent en meilleure posture. Tout paraît aller pour le mieux. L'entreprise a pourtant l'obligation hors bilan de gérer la société de financement qui a payé d'avance le montant qu'elle devait. En revanche, cette obligation n'apparaît pas comme une dette, comme par magie. Lorsqu'on jette un coup d'œil aux flux de trésorerie d'exploitation, tout semble aller pour le mieux. Tout va bien, tant et aussi longtemps que les affaires ne s'aggravent pas, car il faut savoir que c'est lorsqu'une entreprise se trouve sous pression qu'elle adopte ce genre de tactique. Je dis toujours aux analystes qui étudient une entreprise que la première chose à faire est de chercher d'où vient la pression. Je peux vous dire que la pression est de nature économique : le chiffre d'affaires baisse et les dirigeants de l'entreprise se demandent quoi faire. Ils ne peuvent pas nier les chiffres, ce qui veut dire qu'ils commenceront à jouer à de petits jeux. On ne joue pas à ce jeu à moins d'y être contraint. Si les chiffres sont excellents, on les communique tels quels. En fait, c'est plutôt le moment de créer une réserve sur laquelle compter si les temps deviennent durs. Ça, je sais le faire. Cependant, quand l'économie est sous pression, ce qui est la situation vers laquelle nous nous dirigeons, on s'expose à un plus grand risque en matière d'investissement et d'interprétation des chiffres. Je ne dis pas ça simplement parce que nous sommes en pleine discussion. Compte tenu des courants macroéconomiques contraires et des signes avant-coureurs de récession, je ne vois aucun moyen d'éviter une récession. De fait, comme la pression va peser sur les entreprises, elles chercheront à maintenir leurs chiffres. C'est maintenant que nous observons leur jeu.

Armand Capisciolto :

Très intéressant.

J'aime beaucoup ce que vous avez dit, car vous parliez plus tôt de chiffres magiques et de gens qui tentent de s'accrocher à un chiffre en particulier, comme c'est le cas pour l'état des flux de trésorerie. Vous rappeliez également qu'il ne faut pas négliger la situation de l'entreprise.

J'en conclus qu'on ne peut pas se fier à un chiffre, que ce chiffre magique ne suffit pas. Il faut tout lire pour avoir cette vue d'ensemble, tant les états financiers, les notes que le rapport de gestion.

Anthony Scilipoti :

Exactement. Vous faites valoir mon point.

Vous savez, je déteste quand les entreprises disent : « Oh, les états financiers sont déjà trop longs » et que les gens se plaignent d'une surcharge d'information. Ce n'est pas parce qu'ils ne comprennent pas l'information que celle-ci ne doit pas être présentée. Il est possible qu'une autre personne s'en serve pour prendre une décision différente. On ne doit pas dire à l'entreprise : « Oh, vous savez quoi? Vous n'avez pas besoin de fournir cette information, car très peu de gens la comprennent. » Si je comprends cette information, que j'en ai besoin pour prendre des décisions d'investissement et que la communication de cette information est obligatoire, il faut l'ajouter. En fait, je constate que les entreprises présentent l'information, mais que leurs états financiers sont plus longs que nécessaire pour ainsi éviter d'avoir à traiter les principaux problèmes. Par exemple, la tendance actuelle est à la présentation de l'information sectorielle. C'est terrible, et le mot est faible. Les états financiers devraient être basés sur la manière dont le décideur clé prend ses décisions. Or, je mets au défi les équipes de direction de me convaincre qu'elles prendraient une décision à l'égard de leur entreprise en se fondant sur ce type d'information sectorielle. La question qui se pose alors est de savoir si elles souhaitent obtenir un partenaire. L'investisseur achète leurs actions. Il utilise ses propres fonds et ceux des investisseurs envers lesquels il a une obligation fiduciaire pour investir dans leur entreprise et les équipes de direction ne veulent pas lui donner accès aux informations dont elles disposent. Je ne suis pas convaincu. Je pense qu'il ne faut pas compliquer les choses. C'est là que réside la lacune.

Armand Capisciolto :

Vous soulevez un bon point.

La présentation de l'information sectorielle est certainement un sujet qui revient souvent. La semaine où nous enregistrons cet épisode, un article a justement été publié dans le Globe à ce sujet. Il ne porte pas sur les investisseurs, mais sur les autres personnes qui ne sont pas en mesure d'obtenir l'information dont elles ont besoin concernant certaines épiceries, leurs marges et la situation générale en cette période inflationniste. C'est intéressant que vous souleviez la question de la présentation de l'information sectorielle.

Anthony Scilipoti :

Il faut aussi tenir compte du fait que les informations fournies aux États-Unis sont beaucoup plus complètes, ce qui nous nuit.

Les normes sont quasi identiques. Pourtant, ici, les entreprises croient qu'il est avantageux de ne pas fournir telle ou telle information parce qu'elles se situent dans un marché à structure oligopolistique et qu'elles veulent tenir leurs principaux concurrents à l'écart.

Elles veulent néanmoins obtenir du capital. Aujourd'hui, les investisseurs en capitaux ne sont pas limités à l'achat d'entreprises canadiennes. Les entreprises se plaignent de devoir accorder des escomptes d'émission par rapport à leurs pairs aux États-Unis. Je réponds : « Eh bien, ils nous divulguent beaucoup plus d'information. » Ainsi, ils diminuent leur coût en capital, car les investisseurs sont plus à l'aise avec l'information fournie.

Armand Capisciolto :

Vos propos introduisent bien une question que je voulais initialement vous poser plus tard. J'enchaîne donc avec celle-ci. Comme je l'ai déjà mentionné, nos auditeurs sont habituellement les préparateurs d'états financiers. J'ai été vraiment ravi de vous recevoir, car vous avez apporté un autre point de vue, soit celui de l'utilisateur.

Plus tôt, vous avez parlé de recourir à un langage simple et de demander à son entourage de relire les rapports. Y a-t-il autre chose que vous recommanderiez à un préparateur d'informations financières pour qu'un investisseur, un débiteur ou autre lui fournisse le capital nécessaire pour faire progresser son entreprise?

Anthony Scilipoti :

Je suppose que je lui recommanderais de s'en tenir à son histoire, à ce à quoi il pense lorsqu'il se lève le matin. Quand je fais notre série de balados intitulée Fact Finders, je me concentre toujours sur le pourquoi des gens. C'est très important, car, oui, les gens font des choses pour gagner de l'argent, mais l'argent est secondaire. Pour réussir, je suis convaincu qu'il faut faire les choses qu'on aime, qui nous passionnent. L'argent vient plus tard. Prenons l'exemple de dirigeants d'une entreprise qui veulent raconter leur histoire, parce que tout le monde a une histoire. Qu'est-ce qui les pousse à se lever le matin? Pourquoi croient-ils en leur entreprise et travaillent-ils pour elle? Voilà ce sur quoi il faut se concentrer, car il y a une raison pour laquelle ces personnes se réunissent, travaillent pendant des nuits entières et consacrent de longues heures à essayer de déterminer comment gérer leur entreprise. Qu'est-ce qui les a motivés à prendre telle ou telle décision et à tenir le cap pendant les périodes difficiles?

Au lieu de mettre l'accent sur un chiffre oublié ou de se dire qu'on n'a pas le droit à l'erreur, il faut plutôt se rappeler que le monde n'est pas une ligne droite qui part du coin inférieur gauche pour finir au coin supérieur droit du graphique. Tout comme la vie ne va pas du bas à gauche au haut à droite. La seule constante est le temps. Les secondes s'égrènent de la même manière pour chacun d'entre nous, et chaque jour nous vieillissons d'un jour. Toutefois, au chapitre des affaires et de tout ce qui a une incidence sur la vie, il ne s'agit pas d'une ligne droite. Il y a toutes sortes d'obstacles. Ne vous concentrez donc pas sur l'obstacle; dites : « Nous avons rencontré cet obstacle et voici comment nous l'avons surmonté et comment nous avons amélioré nos activités. Pour le prochain exercice, nous pouvons nous attendre à ce qui suit. Nous y croyons en raison de ça. »

Armand Capisciolto :

Je suis bien d'accord, Anthony.

J'aime également rappeler aux gens que les états financiers ne sont pas un document de conformité. Ils se disent qu'ils doivent se conformer, qu'ils doivent cocher tous les éléments de leur liste de contrôle. En fait, il s'agit plutôt d'un document de communication. Je crois que ce qu'on y trouve, la façon dont les obstacles sont décrits et les mesures prises pour les surmonter permettent avant tout de communiquer avec les personnes qui utilisent ces informations financières afin qu'elles sachent ce qui a été fait et la façon dont les défis ont été relevés.

En réalité, si les dirigeants ont affronté de tels défis et les ont relevés, je suppose que les investisseurs veulent en être informés. Ils auront ainsi une meilleure idée de la manière dont l'entreprise et la direction s'occupent des actifs qu'un investisseur va éventuellement leur confier.

Anthony Scilipoti :

Tout à fait. Selon moi, si nous adoptons une perspective à long terme, il est possible de faciliter la prise de décisions et d'améliorer les communications. Nous le constatons maintenant. Les entreprises ont présenté leurs chiffres du T3 il y a quelques semaines. J'ai vu des entreprises revoir à la baisse leurs prévisions au cours des semaines suivant la publication de leurs chiffres. Bien sûr, les temps changent, la vie évolue rapidement et l'entreprise, dans un tel contexte, évolue continuellement. C'est normal, mais le fait qu'elles ne savaient pas pendant des semaines ce qui se passait me porte à croire qu'elles n'avaient pas les bonnes mesures en interne pour exploiter leur entreprise.

Au lieu de pencher vers le côté positif, pourquoi ne pas adopter une approche orientée vers l'objectivité ou la prudence? Les entreprises gagneraient à communiquer qu'elles se sont préparées à un certain nombre de scénarios, que si la situation se dégradait sérieusement, leurs flux de trésorerie et leurs bénéfices pourraient être ceci ou cela. Elles pourraient également annoncer comment elles se sont préparées si la situation demeure sans gravité, ce qu'elles pourraient mettre en place. Il y aura toujours de l'incertitude. Savoir que l'équipe de direction est prête à faire face à cette incertitude me rassure en tant qu'investisseur. Je me dis que ces gens savent ce qu'ils font, qu'ils avancent la tête haute et qu'ils cherchent à anticiper le jeu.

Armand Capisciolto :

J'adore ça, vraiment. Tout ce que nous demandons en tant qu'utilisateurs des états financiers, c'est que les entreprises fassent preuve de cette sorte de transparence objective à l'égard des défis rencontrés et des solutions envisagées. À mon avis, si les entreprises agissaient ainsi et qu'elles racontaient leur histoire avec exactitude-

Anthony Scilipoti :

Oui.

Armand Capisciolto :

nous serions en bien meilleure posture. Anthony, merci beaucoup d'avoir pris le temps de discuter avec nous aujourd'hui. Vos réflexions sur ce sujet ont été absolument incroyables. Notre auditoire et moi-même vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de partager votre expertise avec nous. J'aimerais également remercier nos auditeurs de nous avoir écoutés aujourd'hui.

Je suis Armand Capisciolto, et c'était La comptabilité de l'avenirde BDO. N'hésitez pas à nous faire savoir si vous avez trouvé le sujet intéressant et utile, et n'oubliez pas de vous abonner si vous l'avez aimé. En attendant, je vous dis à la prochaine fois!

Anthony Scilipoti :

Merci, Armand. Et merci à tous.

Narrateur :

Merci d'avoir été ses nôtres pour cet épisode de La comptabilité de l'avenir. Vous pouvez écouter les épisodes précédents et lire d'autres articles sur le sujet au www.bdo.ca/accountingforthefuture. Vous pouvez également utiliser les balados Apple ou Spotify, ou encore les balados Google pour vous y abonner. Pour obtenir de plus amples renseignements sur BDO Canada, visitez le www.BDO.ca.

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